J’ai connu le théâtre de Barracas grâce à un article du journal El País intitulé « Teatro comunitario e inclusivo en Buenos Aires, la ciudad más teatrera de Sudamérica " (15/12/2022).
Il s’agit de la pièce « El casamiento de Anita y Mirko », qui est jouée depuis plus de 20 ans sur scène et où tous les acteurs et actrices sont des voisins du quartier.
J’ai pris contact avec eux, ils m’ont répondu « dale » (OK) et j’ai pu participer à la préparation et à la réalisation de la fête de mariage. J’ai passé des moments délicieux qui resteront gravés dans ma mémoire. Il est vrai qu’à aucun moment je n’ai eu l’impression d’assister à une pièce de théâtre : j’étais à une rencontre de voisins, à une fête de mariage. C’est ça la magie.
Corina Busquiazo et Ricardo Talento font partie du groupe fondateur du «Circuito Cultural Barracas» , qui a donné naissance, entre autres, à la pièce « El casamiento de Anita y Mirko » (Le mariage d’Anita et Mirko).
Le théâtre communautaire ne compte pas avec une formation académique, des bourses ou des diplômes. Il s’apprend au fur et à mesure, en perfectionnant les lignes et les postures dans la danse. Les rires sont réels. Les larmes, certainement aussi. La politique et le politique coexistent sur scène. Les rites, le rituel de chaque représentation, les regards, les complicités, la vie en société.
Corina m raconte :
« Quand a pris fin la dictature militaire (Argentine, 1983), notre idée était de former un groupe de théâtre de rue. Nous avons créé un groupe de théâtre avec des diplômés de l’institut d’Avellaneda, appelé «Las Calandracas». Nous avons présenté notre premier spectacle il y a 35 ans et nous jouions au parc Lezama. »
Comment est née l’idée de la pièce-mariage ?
« La naissance du théâtre de Barracas a un moment clé dans le contexte socio-économique argentin : l’année 2001. »
Ricardo
*En diciembre de 2001, una crisis económica, política, social e institucional iniciada meses antes alcanzó un punto crítico. Esto se manifestó severamente con la imposición de restricciones al acceso al dinero, conocidas como el "corralito", y el estado de sitio decretado por el entonces presidente, Fernando de la Rúa.
« Lors des premières convocations, les voisins et voisines arrivaient avec beaucoup d’inquiétude dans le regard. Beaucoup étaient au chômage ou, dans le meilleur des cas, l’argent ne suffisait pour boucler les fins de mois. La convocation était basée sur le besoin d’avoir de bonnes nouvelles, de comment se rencontrer en tant que personnes et en tant que communauté. C’est ainsi qu’a commencé à se développer l’idée de la pièce « Que se passe-t-il si nous sommes les protagonistes d’une fête ? ». La fête non pas comme une manifestation hystérique, mais comme une rencontre, une célébration communautaire, un endroit d’intégration. Une rencontre où sont présents tous les âges et toutes les personnes qui veulent venir, qu’il y ait un place pour toutes et pour tous, que tout le monde puisse participer, rire, se maquiller, que nous soyons tous une famille. Et quelle est la seule circonstance dans laquelle nous pouvons réunir toutes les générations, nous amuser, manger et danser ensemble ? Une fête de mariage, naturellement ! Et à l’ancienne, car aujourd’hui tout est programmé, un ennui mortel. Voilà le grand succès de cette pièce, qui n’a pas une profondeur dramatique, mais transmet un message très fort. Et il y a autre chose ici, tu remarqueras qu’il n’y a rien de noir dans ce théâtre, il n’y a pas de toile noire, ce qui est contraire au théâtre où tout est des boîtes noires. Le noir est quelque chose d’euro-centrique , en Amérique latine tu vois les drapeaux des peuples indigènes et il n’y a pas de noir. Pourquoi devons-nous utiliser le noir comme quelque chose de neutre ? »
Ricardo
¿Cómo llegaron a Mirko casándose con Anita?
Corina:
« Nous avions l’idée de deux familles très opposées, c’est-à-dire, une famille très sociable, extravertie, joyeuse, et l’autre tout le contraire. Cela provoquait de l’humour. L’idée qu’ils soient italiens est venue naturellement, car ici il y a beaucoup de familles de cette origine. D’autre part, nous avions un compagnon qui a commencé à interpréter le personnage de Mirko, un garçon avec un composante entre l’autisme et la schizophrénie. Il a été le premier Mirko, et nous avons dit : « Che, il a l’air russe autisme et schizophrénie. Il a été le premier Mirko et nous avons dit : « Che, on dirait un ‘ruso’ (désignation en Argentine de toute personne dont la famille est juive et originaire d’Europe de l’Est)». Il a fait un processus divin ici pendant de nombreuses années, mais il a dû arrêter. Ceux qui ont repris son personnage l’ont imité. L’idée est de jouer avec la différence et aussi un peu avec la «grieta». C’est pourquoi c’était intéressant qu’ils se marient et que les familles parviennent à se comprendre malgré les différences. »
*La « grieta » est un concept utilisé en Argentine pour marquer l’opposition frontale entre les kirchnéristes et les anti-kirchnéristes qui divise la société, même au sein des familles. Cependant, il est également utilisé pour expliquer la division binaire entre, par exemple, les fans de Boca et de River, les amateurs de rock et de cumbia. Ce n’est pas un hasard s’ils sont nombreux à penser que ce penchantà la division constante et au conflit interminable est une caractéristique inhérente à l’identité nationale.
El programa cuenta la historia de la boda, acompañada de varios personajes y episodios pintorescos como la llegada de un inspector que acusa a los rusos de entrar ilegalmente en el país...
Irruption inattendue d’une ancienne fiancée de Mirko
À partir de mon expérience du mariage, je conserve de nombreux souvenirs, anecdotes, images et sentiments. Mais pour cette chronique, je veux souligner les deux aspects qui m’ont le plus marqué : la importancia de la inclusión, présente tout au long de la pièce, et le grand pouvoir transformateur de la pièce, aussi bien du point de vue individuel que collectif.
Una obra inclusiva: testimonios
“Todas las generaciones inventan la pólvora, acá todas las generaciones podemos experimentar juntos.”
Ricardo Talento
Graciela Cattaneo :
« Je suis professeure d’art plastiques et d’anglais, et je suis la mère de Nazarena qui est handicapée moteur. J’adore venir ici tous les samedis, je ne manque jamais. J’ai rejoint le Circuit il y a 22 ans. Le plus important pour moi, c’est qu’ils aient accepté ma fille, elle fait partie du spectacle. Ricardo a toujours cherché un rôle pour elle, que ce soit dans la « murga » (troupe musicale et de danse) ou le mariage. »
Marcos Chacón :
« Je suis tombé amoureux du Circuit ; ici on intègre tout le monde, à ce
niveau-là c’est magnifique. Il y a un fille qui souffre d’invalidité, elle s’appelle Lucia, elle parle et elle est en fauteuil roulant. Quand nous faisions les répétitions et qu’il était temps de danser, vous ne savez pas comment ses petits yeux brillaient, car prostrée, elle trouvait un endroit où elle pouvait s’exprimer. »
Marta Peluso :
« Je suis heureuse. Il y a quelque chose d’important dans le Circuit que d’autres endroits n’ont pas : ici tout le monde peut jouer. Tout le monde peut chanter. Tout le monde peut tout faire. Donc il n’y a pas le préjugé de la télévision où tu dois être blonde aux yeux bleus, mince… ici tu peux être grosse comme moi et jouer. On peut même jouer en famille, je suis venue pendant un temps avec mes trois enfants qui jouaient et chantaient. »
Aparecen tres “cuñadas”, dueñas de “La Taffié de tu barrio” , salón de fiesta del casamiento :
Un episodio escandaloso :
Un poder transformador
Corina me cuenta:
« Le théâtre communautaire est un phénomène de rencontre. Il y a entre 70 et 80 voisins sur scène, mais au total 200 qui se relaient, tous les personnages sont joués par plusieurs personnes. Tous les voisins qui veulent participer s’intègrent à l’atelier d’intégration. C’est un fait très transformateur. Il y a des personnes dont leur vie a vraiment changé, pas dans un sens thérapeutique, mais parce qu’elles ont trouvé un lieu de participation qui leur ouvre de nouvelles perspectives. Le fait d’être applaudi, de jouer d’un instrument, de pouvoir jouer un rôle, tout cela les rends plus forts et profite à leur vie quotidienne. Des personnes âgées, qui se disent : bon, j’ai déjà tout fait, j’ai travaillé, j’ai pris ma retraite, ma vie est faite et tout à coup ils découvrent ici qu’ils ont
encore des tas de choses à offrir.»
Marcos :
« Avant, j’étais analyste de systèmes informatiques, j’étais très sérieux. Un jour, pendant les répétitions, je suis venu comme d’habitude, très raide, et on m’a fait jouer le rôle d’un vieil homme dans un hôpital qui déclarait son amour à une vieille dame. Et je devais chanter : ‘Bésame, bésame mucho, comme si c’était la dernière fois’ (célèbre
boléro sud-américain). Jamais, au grand jamais, je n’aurais pensé que je pouvais le faire, et encore moins devant des gens. Le théâtre a coïncidé avec ma retraite et ce fut pour moi comme une bouffée d’air frais. »
Marcela Lucindo :
“Acá hago de rusa, de la familia de Mirko. Es mi terapia, me encanta, estás acá y no pensas en otra cosa. Me encanta también mirarlo desde el público, lo que se siente, emociona. Cuando cantamos la última canción la gente llora, se re emociona, es re lindo.”
Los espectadores se marchan abrumados. La gente entra como público y se convierte en pariente de los novios; comen e incluso bailan juntos:
"Bailamos sin saber bailar, por eso utilizamos música que no es actual, música de hace 30 años.
Ricardo Talento
Consuelo Vázquez "Chela" :
« Je n’avais jamais fait de théâtre. Commencer à 60 ans, je ne l’aurais jamais imaginé. Le Circuit est un monde, un lieu unique, différent de tous les autres. L’émotion de la chanson finale, avec les gens debout applaudissant à tout rompre. Les gens qui te voient danser et qui, voyant que tu es une personne âgée, te félicitent, ils sont abasourdis. Je crois, sans craindre de me tromper, qu’il n’existe rien de comparable à cela. Nous sommes une grande famille avec nos différences, mais une famille tout de même. Le Circuito Cultural Barracas m’a changé la vie ! »
Graciela Cattaneo:
« J’ai eu l’opportunité de jouer au Luna Park, ce qui est quelque chose de merveilleux, et pourtant, je ne sais pas si je l’échangerais, car là-bas, le public, quand le spectacle est terminé, s’en va chacun de son côté. Et ici, en revanche, on parle avec le public, et c’est impayable d’écouter ce qu’ils disent. Les gens s’impliquent énormément dans ce que nous faisons, ils disent : ‘Je suis venu avec une certaine humeur et je repars avec une autre’, car vraiment, le mariage amuse et rend heureux. »
¡Hasta hay algunos espectadores que aprovechan la presencia del « cura » y se “casan”!
Del individualismo a la cooperación
Incluso las relaciones comunitarias están cambiando", me dice. Ricardo :
“Que la comunidad en chiquitito esté produciendo ficción, también es un hecho. Para mí la ficción nunca es inocente, uno cuando cuenta algo tiene un interés de organizar algo a futuro, pensando en llevarlo después a la vida en sociedad. Acá en el fondo, diríamos, experimentamos otra forma de relación a nivel comunitario. No competimos; trabajamos colaborativamente, que es lo contrario que ocurre en la sociedad, donde trabajamos para competir. Hay ingenieros, docentes, maestros, taxistas, peluqueros. Un fenómeno interesante es que la mirada también se posa antes y después de la función. Los lazos sociales permiten que un electricista actor, pueda ocuparse de algunos desperfectos en las casas de los compañeros, o un biólogo pueda dar apoyo escolar a los pibes y pibas que están en el secundario.”
Corina agrega:
“Hay como una trama, una red por abajo que nos vincula y hace procesos muy preciosos. Chela, terminó el colegio secundario en pandemia. Un compañero era profesor, y en pandemia, le dijo: “¿Chela por qué no lo aprovechas y haces el secundario? Y un compañero que estaba en estos proyectos de educación virtual, le dijo, anótate y así fue como Chela terminó la secundaria..” Chela cuenta: « Tuve el gran apoyo de mis compañeros. Cuando flaqueaba un poco, me decían: ‘Chela, vos podés’. Me entregó el título un compañero que es profesor donde yo estudiaba. Un sábado, bajo de sacarme el maquillaje y los veo a todos juntos, felicitándome, abrazándome. Esa emoción solo se vive en el Circuito.”
La misma filosofía que el colectivo Fin De Un Mundo (FUNO)
¿Cómo llega el público hoy en este contexto de crisis?
"El público sigue con esas ganas de venir a participar a un encuentro, hay ganas de encuentro, como bajar un poco los niveles de paranoia y dejar de preguntarse: este a quién habrá votado y esa de qué barrio será. Vos acá llegas y sos familiar, o sea, sos de una familia o sos amigo de los novios. Estamos todos juntos ¿entendés?, haya votado, a quién haya votado, pienses lo que pienses. Mucha gente se emociona mucho con la canción final. Son 60 personas cantando, una misma canción, adultos y chicos… emociona. El poder del canto colectivo, resume un poco lo que hacemos."
Corina
"Todo vale en esta fiesta
los solteros se casaron,
los casados se cambiaron de pareja
todo vale en esta fiesta".
...
"todo vale en esta fiesta
los invitados públicos en ella
y los actores son de acá a la vuelta
todos vecinos, no se sorprenda".
« Tout est permis dans cette fête
les célibataires se sont mariés,
les mariés ont changé de partenaire
tout est permis dans cette fête »
...
« tout est permis dans cette fête
les invités sont le public
et les acteurs sont des gens du coin
tous des voisins, ne soyez pas surpris. »
Una mirada desde el exterior
En el 2023 un grupo de franceses pasó 10 días en el teatro de Barracas, organizado por “L’escargot migrateur” “El caracol migrante”
Juliette :
“Yo vivo en el sur de Francia, cerca de Lourdes, en un pueblo de 200 habitantes. Soy parte de una compañía de circo y soy trapecista. Estuvimos 10 días en el Circuito de Barracas. Tengo muchas cosas que decir, Ahora tengo nuevos anteojos, para ver con otra mirada, entonces van a cambiar muchas cosas. Quiero poner en el centro la idea de juntar diferentes generaciones, eso es algo en lo que quiero hacer foco. Me vuelvo con el corazón que me va a explotar, porque acá me lo llenaron. Hay mucha energía y ternura, con eso se puede hacer muchas cosas.Fue un regalo poder estar acá.”
Y yo siento algo parecido: un regalo.
Juliette menciona la ternura y la energía. Yo añadiría lo que ya he observado en otras columnas: generosidad, sentido de comunidad (en este mundo individualista), solidaridad... y unas ganas insaciables de fiesta.
Inolvidable.
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